Tintin et ses personnages à la rescousse des gestionnaires
LE SOLEIL, Jean-Marie Villeneuve QUÉBEC - Que diriez-vous si on vous révélait que votre personnalité se compose de 36 % de Tintin, de 24 % de Dupon(dt), de 22 % de Tournesol et de 18 % de Haddock ? Depuis bientôt quatre ans, plus de 8 000 personnes de la région de Québec ont déjà vu leur caractère ainsi esquissé. La méthode est originale, et les psychologues qui l'ont essayée en disent beaucoup de bien. Elle a été imaginée et mise au point par Renée Rivest, une jeune femme de Québec, fondatrice et associée principale de Regain, Groupe-conseil en mobilisation d'équipe. Le travail de Mme Rivest, selon ses propres termes, consiste à « accompagner les gestionnaires et les membres d'une équipe, et leur donner le goût de faire encore mieux ensemble ». Elle rencontre donc dans un premier temps les patrons, puis les équipes de travail, et s'attarde à leur faire découvrir les forces et les intérêts de chacun des membres. Peut-être à cause du petit côté boy scout de son travail, le lien s'est fait tout naturellement: Tintin et ses acolytes allaient devenir les associés de Renée et du groupe Regain.
Une question d'éthique Elle a donc mis son idée à l'épreuve auprès d'un groupe de clients. Devant des résultats satisfaisants, elle communique avec Moulinsart, l'entreprise belge qui gère les produits dérivés de l'oeuvre de Hergé : « Je m'excuse d'avoir utilisé vos personnages, écrit-elle, mais je crois que j'ai un succès entre les mains. » Le délégué commercial de Moulinsart, Philippe Scheirlinckx, vient la rencontrer à Québec six mois plus tard. Il est d'accord. Peu de temps après, la veuve de Hergé, Fanny Rodwell, accorde des droits d'auteur sur la méthodologie « Tintin au travail ». Ce fax d'excuse, estime Renée Rivest après coup, constituait une entrée en matière sur mesure pour Moulinsart. L'entreprise, en effet, fait face à de nombreux cas de violation des droits d'auteur, et elle a été sensible à l'éthique de l'approche de Mme Rivest. Dans un premier temps, la conseillère ne peut utiliser que les caractères, sans recourir à l'image. Un an plus tard, elle acquiert le droit de projeter les images de Tintin, du capitaine Haddock, du professeur Tournesol, de Milou et des Dupont et Dupond. Avec des partenaires, dont sa complice Anne Marcotte, elle met au point une présentation multimédia de sa méthode. Le produit prend forme.
Qui êtes-vous ? Tintin, apprennent les participants, ne trouve un sens à ses actions que lorsqu'elles sont engagées, qu'elles servent une cause. Il doit croire à ce qu'il fait. « Lorsqu'on le force à travailler sans but, c'est la dépression, le burn-out », explique Mme Rivest. Le capitaine Haddock, on l'aura deviné, trouve son sens dans l'action. « Il faut qu'on ait besoin de lui, il est efficace en situation d'urgence. Par contre, il peut être directif, critique, colérique. » Milou, c'est le pratique. Il porte avec lui le jugement, la structure, la logique. Il ne peut fonctionner dans l'insécurité. « C'est celui qui supporte mal les réorganisations, les fusions, le bordel, quoi! » Tournesol, lui, se démarque par son intérêt. Si on sait l'allumer sur un sujet qui l'intéresse, il fonctionnera seul, avec toute l'énergie nécessaire. Mais si le travail ne l'intéresse plus, alors il se renferme dans sa bulle, et cessera de contribuer à l'effort d'équipe. Enfin, les Dupondt, considérés comme un seul et même caractère, sont au coeur du travail en groupe. Ils recherchent justement l'harmonie dans les relations ; que cette harmonie disparaisse, et ils formeront des clans, où ils retrouveront leur sens. « C'est de Dupondt dont on a le plus besoin présentement », note Mme Rivest. À travers ces portraits, les membres de l'équipe se reconnaissent, discutent de leurs relations, de leurs forces et de leurs intérêts, et l'équipe se renforce tout naturellement. Quelles sont les entreprises intéressées à tenter une telle démarche? « Mes clients préférés sont ceux qui ont réalisé qu'ils ont un virage à prendre pour rester performants et compétitifs. » Ce virage, affirme-t-elle, doit être axé vers les personnes. Les entreprises, selon Mme Rivest, font face à un exode des ressources. La rationalisation a forcé un grand nombre de départs ; les conditions de travail où on exige une productitivité accrue ont haussé le nombre de problèmes de santé mentale au travail ; par ailleurs, il existe aussi une catégorie de gens qui quittent à cause d'un solide ras-le-bol. « Les gens ne sont plus prêts à se défoncer au travail sans sécurité d'emploi, souvent aussi pour un salaire plus ou moins acceptable. » Pour les remotiver, il faut leur redonner un sens au travail. Et c'est ici que Tintin intervient.
L'Europe Pour la suite des choses, elle espère étendre ses services vers les pays européens francophones, avec la collaboration de Moulinsart. Et éventuellement, une école Regain. On n'arrête pas le progrès, mille millions de mille sabords !
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